Il n’y a pas si longtemps, les clients bio étaient majoritairement végétariens. Que n’a-t-on pas entendu le jour où nous avons introduit de la viande dans nos banques froides !
L’idée d’une alimentation carnée est aujourd’hui acceptée dans nos milieux. De fait, de nombreuses considérations nutritionnelles, philosophiques ou culturelles cohabitent chez les partisans du bio, faute d’une bien improbable unanimité en la matière.
Lorsque consommation de viande il y a, l’argument mettant en évidence la nécessité d’une provenance bio n’a plus à être rappelée : les diverses crises alimentaires s’en sont chargées. D’autres éléments que ceux liés à la santé et à la sécurité sanitaire méritent toutefois d’être développés : le point de vue écolo, et l’idée d’une vision « paysanne » de l’élevage. Le cahier des charges bio en France est intéressant de ce point de vue-là. Voici quelques considérations à peine techniques sur un sujet qui nous concerne tous. Noël Ledey travaille dans le développement des filières bio pour diverses entreprises. Il intervient également auprès d’étudiants en agronomie comme professeur d’économie. Fils de paysan, il vit en milieu rural et élève quelques moutons et vaches de variétés anciennes (« variétés », pour ne pas parler de race, terme impropre). Noël a déjà répondu aux questions de Sat’Info sur la viande bio et l’agriculture intégrée (propos qui peuvent être consultés sur satoriz. com à la rubrique « les entretiens »)
Salut Noël ! Tout d’abord, quelques mots sur le cahier des charges bio français en matière d’élevage : on le dit plus qualitatif que celui de nos voisins européens, est-ce vraiment les cas ?
Plus qualitatif, pas forcément. Plus exigeant, oui ! Depuis l’année 2000, chaque pays a la possibilité d’apporter ses propres modifications au règlement européen. Celles que la France a adoptées pour ses éleveurs sont intéressantes : la non-mixité des élevages, tout d’abord. Cela signifie qu’on ne peut mener sur un même site des élevages bio et non bio. Le lien au sol, ensuite : chaque éleveur doit produire sur la ferme au minimum 40 % des aliments destinés à son élevage. Tout éleveur en bio est donc également un agriculteur produisant des céréales, des légumineuses…
Ces mesures sont contraignantes. Est-ce vraiment la bonne méthode pour inciter un éleveur à produire bio ?
Vu comme ça, on peut effectivement en discuter… Depuis ces mesures, la moitié des éleveurs de poulets bio a disparu, par exemple. Beaucoup se sont convertis en Label Rouge… On peut considérer qu’il s’agit là d’effets négatifs, mais cette mesure a le mérite d’avoir fait sortir du circuit bio des gens qui n’étaient là que pour des opportunités de marché. Il faut dire aussi que ces éleveurs n’avaient peut-être pas techniquement la capacité de produire des céréales bio. Les agriculteurs ne sont malheureusement formés qu’à devenir des exécutants des lobbies chimiques… En bio, il faut savoir faire avec le temps, la saison, les circonstances…
Quel est donc l’avantage de ces mesures typiquement françaises, si elles sont si décourageantes ?
Elles renforcent l’idée que l’agriculture se doit de respecter la vocation des sols. Prenons une région comme le Berri, qui était traditionnellement une zone de polyculture-élevage : aujourd’hui, on y voit plus que des céréaliers ! On a arraché les haies… on a drainé… et on s’est rendu compte qu’on pouvait y faire pousser n’importe quoi, grâce aux engrais chimiques. L’idée du lien au sol permet de donner une chance aux campagnes de retrouver cette harmonie culture-élevage.
Il s’agirait donc d’un retour en arrière ?
Plutôt d’un moyen terme entre deux voies : celle d’une certaine forme de productivité, d’une part. Un impératif de rentabilité propre au conventionnel qui a quand même le mérite de pouvoir offrir au paysan une vie plus normale : pouvoir s’absenter, avoir des vacances et élever décemment ses enfants. Et d’autre part l’idée que se font certains intellos, écolos urbains de la campagne, avec des paysans qui élèvent trois vaches et deux chèvres dans un coin, qui entretiennent le paysage, mais qui ne vivent pas correctement… Le compromis passe par la nécessité de produire plus, tout en maintenant une campagne entretenue, en phase avec la nature et donc avec des animaux, ce qu’encourage le cahier des charges bio français.
Ces mesures sont-elles créatrices d’emploi ?
Elles ont au moins le mérite de maintenir ceux qui existent en milieu rural… Mais il est probable qu’il ne sera pas facile à tous les agriculteurs-éleveurs de vivre de leur seul revenu agricole. Certains seront probablement amenés à disposer d’une autre activité, comme c’est souvent le cas en montagne, comme c’était le cas autrefois également. L’idée de terroir, à mon sens, intègre déjà une certaine dose de tourisme.
La discussion nous mène un peu loin du sujet de la viande…
Tout est lié : si l’on souhaite que nos paysages soient entretenus, il faut des animaux, et il est alors logique et cohérent d’avoir à consommer de la viande, dans une vision environnementaliste… Ce n’est bien entendu pas une obligation pour soi, mais il est au moins nécessaire d’accepter que certains en mangent…
Un argument auquel on n’est pas habitué… La consommation d’œufs et de produits laitiers n’entre-t-elle pourtant pas dans une logique comparable ?
En effet, si l’on veut qu’une vache produise du lait, elle devra avoir un veau… Que fait-on alors des animaux qui naissent, et notamment des mâles ? Doit-on les euthanasier, pour éviter une inévitable surpopulation animale ? L’autre solution, c’est de les manger. Être végétarien est un choix respectable, mais pas forcément cohérent dès lors que l’on consomme des produits laitiers ou des œufs. Pour qu’il le soit, il faudrait être végétalien.
D’un point de vue environnementaliste, on reproche aujourd’hui aux bovins de rejeter des gaz à effet de serre par leurs flatulences et autres régurgitations…
C’est un vrai problème. On aura certainement à limiter le nombre de têtes de bovins. Doit-on pour autant commencer par le cheptel bio, dans un contexte où les animaux occupent harmonieusement l’espace ?
L’autre point que l’on peut améliorer, c’est la récupération de méthane, l’hiver, par fermentation des lisiers. Il y a beaucoup de gaz qui peut être ainsi collecté et utilisé notamment pour le chauffage de la ferme, au minimum, comme c’est le cas dans les pays de l’est depuis les années 60 : là-bas, la pression des lobbies pétroliers a été nettement moins forte que chez nous…
Comment résumerais-tu la perception que le monde du bio a des aliments carnés ?
Non seulement pour les produits carnés, mais pour les produits bio en général, on a beaucoup argumenté sur la sécurité alimentaire, le respect de la santé et de l’environnement. C’est une bonne approche pour accéder au bio, mais on a oublié de parler d’un aspect que je n’hésite pas à qualifier « d’humaniste » : la production bio, dont l’élevage, doit favoriser la possibilité que des gens puissent vivre dignement de leur métier, dans des campagnes qui ressemblent à des campagnes… C’est un discours plus « paysan » que « consommateur de produits bio », mais on le développe rarement. Peut-être parce que c’est celui qui gène le plus les gens extérieurs au monde du bio, dans un contexte politique totalement axé sur les villes et l’industrie, y compris agricole…
Que la consommation de viande rentre dans une logique paysanne est un fait, mais l’emploi du mot « humaniste » pour la qualifier est peut-être un peu dérangeant…
Les êtres humains ont des devoirs envers les autres êtres vivants. Mais personne ne niera que l’on accorde plus de poids à la vie humaine et à notre bien-être. J’emploie le mot « humaniste » au sens premier : mettre l’homme au centre de tout. Une vision que l’on peut ne pas partager, mais qui selon moi n’empêche pas le respect du monde qui nous entoure.
Article paru dans la revue Sat’Info – Satoriz, le bio pour tous !
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